20 Giugno 2022

“Estremismo e complottismo”

“Extrémisme et complotisme”

Sous la forme du « complot sioniste mondial », on rencontre le mythe du complot juif international dans toutes les productions textuelles extrémistes, de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par les islamistes de toutes obédiences. Il faut pointer cependant une asymétrie entre les extrémismes : alors que, dans les milieux d’extrême gauche, on s’inspire des thèmes majeurs de la vision complotiste du monde sans jamais se référer aux Protocoles des Sages de Sion, dans les milieux d’extrême droite, comme au sein des mouvances islamistes, on cite souvent le document pour justifier les accusations lancées contre « les Juifs » ou « les sionistes ».

Le Crif bénéficie régulièrement de l’expertise et des contributions, analyses et articles de nombreux chercheurs.euses et intellectuel.eles sur les nouvelles formes d’antisémitisme, l’antisionisme, la délégitimation d’Israël, le racisme et les discriminations, les risques et enjeux géopolitiques et le terrorisme, notamment.

L’institution produit également des documents dans le cadre de sa newsletter, de la revue Les Études du Crif, sur son site Internet et sur les réseaux sociaux, en publiant régulièrement les analyses et les points de vue d’intellectuels. Des entretiens sont publiés également sur le site. Pour la collection des Études du Crif, plus de 130 intellectuels ont publié des textes.

Chaque année, nous demandons à plusieurs intellectuel.les de bien vouloir contribuer à notre revue annuelle.

Si les textes publiés ici engagent la responsabilité de leurs auteur.es, ils permettent de débattre et de comprendre de phénomènes complexes (laïcité, mémoire, antisémitisme et racisme, identité…).

Dans les semaines à venir, vous aurez le loisir de découvrir ces contributions ! Bonne lecture !

Extrémismes et complotisme

Sous la forme du « complot sioniste mondial », on rencontre le mythe du complot juif international dans toutes les productions textuelles extrémistes, de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par les islamistes de toutes obédiences. L’un des traits distinctifs de l’extrémisme, c’est précisément le recours à des « théories du complot » plus ou moins élaborées pour expliquer la marche des événements, surtout lorsqu’elle est jugée décevante, inquiétante, choquante ou terrifiante. Il faut pointer cependant une asymétrie entre les extrémismes : alors que, dans les milieux d’extrême gauche, on s’inspire des thèmes majeurs de la vision complotiste du monde sans jamais se référer aux Protocoles des Sages de Sion, dans les milieux d’extrême droite, comme au sein des mouvances islamistes, on cite souvent le document pour justifier les accusations lancées contre « les Juifs » ou « les sionistes ».

Contre l’ennemi « mondialiste »

L’ennemi commun de tous les extrémistes, c’est le « mondialisme », qui est dénoncé au moyen de poncifs et de rumeurs figées trouvant leur origine dans les Protocoles et les textes qui en sont dérivés. Le cas du polémiste français Alain Soral (né en 1958), ancien communiste devenu nationaliste mais resté anticapitaliste, est ici exemplaire. L’ennemi principal qu’il désigne, c’est le « mondialisme », la « gouvernance mondiale » ou le projet d’un « Nouvel Ordre mondial ». Mais le « sionisme », toujours « mondial », est régulièrement dénoncé par le polémiste. Au début des années 2000, Soral qualifiait l’État d’Israël de « champion contemporain du fascisme colonialiste » et dénonçait « l’aristocratie internationale qui règne de New York à Tel Aviv ». Celui que Max Weber aurait caractérisé comme un « intellectuel prolétaroïde » a exposé en 2011 sa vision antimondialiste dans Comprendre l’empire, sous-titré « Demain la gouvernance globale ou la révolte des nations ? ». On y trouve tous les poncifs de la littérature conspirationniste produite depuis le début des années 1950, en France, par des publicistes antijuifs comme Henry Coston, Jacques Bordiot (1900-1983) ou Pierre Virion (1899-1988), dénonciateurs infatigables du « Gouvernement mondial » et du « messianisme de la finance internationale » visant à établir un « empire universel sous l’autorité d’une oligarchie apatride » (Bordiot).

Ces prétendues « sociétés secrètes » à visée « mondialiste » inlassablement dénoncées sont censées rassembler les puissants de ce monde, tel le groupe de Bilderberg, désigné comme l’un des principaux lieux de rencontre, de coordination et de décision de l’oligarchie mondiale ou de « l’élite financière internationale ».  Soral écrit en 2011 :

« Articulés autour du noyau onusien (…), le CFR, la commission Trilatérale et le groupe Bilderberg, mais encore le FMI (…), l’OMC (…), l’OCDE, les lobbies militaro-industriels, énergétiques, agro-alimentaires et pharmaco-chimiques (servis par l’OMS), ainsi que des clubs plus ésotériques tels que Skull and Bones et Bohemian Club, auxquels il faut encore ajouter d’autres relais français tels que Le Siècle et le Club des Cordelières… Tous ces réseaux de pouvoir, travaillant la main dans la main pour des raisons d’intérêts financiers et de solidarité de caste, constituent ce réseau des réseaux qui est, de fait, la structure combattante de l’Empire. Un Empire travaillant au Nouvel Ordre mondial. »

En 2013, dans Dialogues désaccordés, co-écrit avec Éric Naulleau, Soral oppose à l’« histoire officielle » sa propre vision du monde, centrée sur la dénonciation de la « domination juive », ou plus précisément de la domination de « cette communauté juive organisée internationale qui règne aujourd’hui sur le monde occidental », expression de la « montée » du « capitalisme financier ». C’est là réécrire les Protocoles en renouvelant le vocabulaire et les références historiques.

On rencontre l’inusable argument de la teneur prophétique du document dans une vidéo sur les Protocoles du militant d’extrême droite Franck Abed, compagnon de combat de Soral, mise en ligne sur Twitter en janvier 2014 à l’initiative d’« Alain Soral Officiel » : « À titre personnel, j’ai quand même tendance à croire qu’ils sont vrais, pour la simple et bonne raison que si c‘est un faux, c’est un faux génial, en ce sens que tout ce qu’on lit dans ce livre (…), tout se déroule parfaitement, avec une telle précision qu’on est un peu stupéfait par l’accomplissement de ce plan de destruction mis en place par ces fameux Sages de Sion. » Et de conclure : « Je conseille la lecture de ce livre. » Les Protocoles, dans la version Boutmi, ont été réédités en 2018 par Kontre Kulture, maison d’édition fondée par Alain Soral en 2011.

Dérives complotistes autour de la pandémie de Covid-19

Parmi les formes dérivées du mythe du « complot juif mondial » qui prolifèrent dans des contextes de crise sanitaire, on trouve des énoncés selon lesquels « les Juifs » auraient créé le virus du SIDA, le virus H1N1 (responsable de la grippe A) ou le coronavirus Covid-19 pour réaliser tel ou tel objectif criminel. La logique du raisonnement complotiste inclut le biais de proportion, qui pousse le sujet à croire que de « grandes » et terribles conséquences (une crise économique mondiale, une pandémie, etc.) ne peuvent être engendrées que par de « grandes », puissantes et terribles causes (Satan, les illuminati, « le Juif », « les sionistes », etc.). Il en va ainsi de l’accusation, lancée le 26 février 2020 au moment de la pandémie de Covid-19, par un « analyste politique » irakien, Muhammad Sadeq al-Hashemi : « Le coronavirus est un complot juif américain financé par Rothschild pour réduire la population mondiale. » Il y a là une confirmation et une condensation de quatre stéréotypes antijuifs : les Juifs sont riches, puissants, conspirateurs et criminels. Ils sont capables de créer et de propager un « tueur de masse » tel qu’un virus. Ils sont donc en outre redoutablement intelligents et rusés.

Les dérives complotistes et antijuives des anti-pass et des anti-vax se sont multipliées depuis l’été 2021. On retrouve l’imaginaire complotiste antijuif dans les slogans lancés au cours de plusieurs manifestations « anti-pass » qui ont eu lieu en France durant l’été 2021, dénonçant une prétendue « dictature sanitaire » qui serait installée dans l’hexagone Le 14 août 2021, des pancartes antisémites portant l’inscription « Qui ? » ont été brandies par des manifestants dans diverses villes françaises. Cette question apparemment sans réponse est allusive mais sa signification est claire pour un certain nombre de militants « anti-pass », ceux qui voient partout la main cachée des Juifs. Elle est donc idéologiquement codée, mais aisément décodable. En témoigne par exemple la pancarte qui, lors d’une manifestation organisée le 7 août, était brandie par une ex-membre du Front national : la question « Qui ? » y était accompagnée de noms de responsables politiques, d’homme d’affaires et d’intellectuels pour la plupart juifs. Le 14 août, un militant se déclarant « royaliste » portait un bob et un T-shirt marqués d’un « Qui ? » avec deux cornes de diable.

L’ennemi diabolique était ainsi construit et désigné sur la base de la triade « argent, pouvoir, intellect », à laquelle il faut ajouter un quatrième stéréotype antijuif traditionnel, la criminalité. Car nombre de militants « anti-pass » sont aussi des militants « anti-vax », convaincus que « le vaccin tue » et donc que les promoteurs du vaccin sont des assassins. Ils mêlent des thèmes empruntés au conspirationisme antijuif et d’autres qui dérivent des discours « anti-système » de droite ou de gauche. Ils dénoncent le pouvoir illégitime et abusif des dominants et de la pensée dominante, qui non seulement priverait les citoyens de leur liberté de choix et de circulation, mais les exposerait à la mort. Les dominants étant à leurs yeux les Juifs, la question « Qui ? » fonctionne comme un micro-slogan antijuif.

Imaginaire « anti-système » et paranoïa antijuive

Une forte méfiance à l’égard de la classe politique, des industries pharmaceutiques, des médias (« aux ordres ») et des institutions constitue la passion la mieux partagée par les manifestants, qu’ils soient antisémites ou non. S’y ajoute une surdité envers les critiques et un rejet par principe de tous les arguments susceptibles d’ébranler la croyance à l’existence d’une « dictature sanitaire ». D’où le recours à des médias alternatifs. La contestation « anti-système » trouve notamment dans les réseaux sociaux un puissant moyen de persuasion. C’est ainsi qu’au nom d’une information « libre », la désinformation sauvage occupe de plus en plus le terrain.  Un dogme a été fabriqué, autour duquel s’agrègent les croyances des diverses mouvances engagées, qui ne reculent devant aucune forme de dramatisation. La dérive observable est celle de la radicalisation des attitudes et des postures : de la méfiance au soupçon, et du soupçon à l’accusation, puis à l’appel à la démission des hauts responsables, voire à l’insurrection. La dénonciation de la « société de surveillance » puis des « sociétés de contrôle », théorisée naguère par les représentants de la French Theory (Michel Foucault et Gilles Deleuze au premier chef), est désormais mise au service de visions complotistes et de passions négatives, à commencer par la haine et le ressentiment, qui se fixent sur des cibles fantasmées censées faire partie du « système » et comploter d’une façon systémique contre les citoyens. Alimentant une paranoïa contagieuse, l’indignation, la colère et la révolte se portent ainsi contre les Juifs, objets préconstruits des haines sociales et politiques. L’imaginaire « anti-système » est un puissant vecteur de la paranoïa antijuive.