9 Gennaio 2014

I fan di Dieudonné

Fonte:

le nouvel Observateur

Autore:

Nathalie Funès

Fans de “Dieudo”

Un public jeune et masculin, souvent venu de banlieu, se presse dans le théatre parisien du polémiste pour se délecter d’un spectacle qui ressasse une obsession: la haine des juifs

Jeudi 2 janvier, Theatre de la Main d’Or, dans le 11^ arrondissement de Paris. La salle est pleine à craquer. Les drniers arrivés se sont vu offrir des coussins rouges pour s’asseoir par terre, sur les escaliers, dans les recoins, un peu partout. Il n’y a plus un mètre carré de libre. Un spectateur, entre deux marches, recroquevillé sur son coussin, épaules rentrées, genoux serres: «S’il y a le feu, on est foutus, on n’arrivera jamais à tous sortir. Et puis ils auraient pu fouiller les sacs à l’entree quand méme, avec tout ce qui se passe en ce moment» Son voisin : «Tu penses à un juif qui poserait une bombe?» L’après-midi, vers 17 heures, des menaces ont été proférées d’une cabine téléphonique. Les démineurs n’ont rien trouvé. Depuis, une patrouille de police tourne autour de l’établissement.

Bienvenue chez «Dieudo», comme l’appellent ses fans. Dans la salle, plus de 250 personnes, essentiellement des jeunes, des gamins de banlieue, baskets, sweat-shirts à capuche, casquettes, beaucouup d’hommes, deux ou trois femmes voilées, et des habitués, comme cette brunette, coiffée d’un bonnet en laine, qui en est à son quatrième show et exhibe fièrement ses tickets des années précédentes, conserves dans son portefeuille. Kaltoum, cheveux frisés, parka, vient, elle, pour la première fois. Elle est devenue accro aux videos régulièrement postées sur YouTube par l’humoriste et qui peuvent atteindre 2,5 millions de vues. Elle pense que «les journaux déforment la réalité », qu’ils «ne disent pas toute la verité sur Dieudonné et ne racontent pas à quel point il est soutenu par des milliers d’anonymes, par des gens connus ». Ses blagues antisémites sont «sorties de leur contexte», dit-elle. Et le fameux geste de la quenelle, un simple bras d’honneur sans consequences, surement pas un salut nazi.

20h30, le spectacle, intitulé «le Mur», peut commencer. Sur scène, le décor est installé : un portrait de Dieudonné, un autre de Che Guevara, une table, une chaise et un mur de cartonpàte. «C’est le Mur des lamentations, explique l’humoriste. Derrière, c’est les médias, les banques, le showbiz… la merdasse. » II se plante devant, écarte les jambes, fait mine de baisser son pantalon : «Je pisse dessus.» Costume trois pièces sans cravate, Dieudonné est acclamé. Le public est déjà déchainé. On est entre soi, on se comprend. Et tout le monde sait à quoi s’attendre. Dieudonné, habitué des tribunaux et multirécidiviste (il a été condamné neuf fois depuis 2006 pour «diffamation, injures, provocation à la haine et à la discrimination raciale» ) va servir une heure et demie durant son traditionnel couplet antisémite à un public ravi. Il flatte son auditoire. qui, dit-il, n’a pas eu peur de venir: «Vous allez voir que vous allez bientot étre accusés de complicité de crime contre l’humanité!»

Il laisse passer une couche de rires et une salve d’applaudissements avant de s’attaquer à une brochette de personnalités publiques, toutes juives: l’animateur Arthur, le comédien Patrick Timsit, ou encore Elie Semoun, son ancien compagnon de scene, qui, raconte-t-il, fait désormais salle vide et le supplie de passer en première partie de ses spectacles: «Ah non, Elie, c’est pas possible, t’as eté à Tel-Aviv, moi je garantis plus rien!» Dieudonné s’en prend à Roger Cukierman, president du Crif, le Conseil représentatif des Institutions juives de France («A la fin de chaque diner annuel, il y a une galette des rois, celui qui a la fève devient le nouveau president de la Republique »), à Gilles Bernheim, ancien grand rabbin de France, «qui aurait pu devenir grand rabbin du monde» s’il n’avait pas truqué sa biographie. «On sait que le mensonge et le judaisme, hein, c’est très proche.» Geste des deux index qui se touchent. Il se dit ravi d’étre boycotté par la télévision («Heureusement que je ne suis pas obligé d’aller chez Drucker écouter chanter Patrick Bruel jusqu’au bout, je préfère’etre éboueur, y a moins de merde») et met en scène un tirailleur africain qui demande pardon à Hitler, réfugié «au paradis», d’avoir combattu auprès des Rothschild pendant la Seconde Guerre mondiale: «On ne va quand meme pas laisser les Rothschild faire des leçons de morale au III^ Reich après ce qu’ils ont fait pendant la traite des Noirs.» Puis il s’imagine encore emmener sa famille le 12 décembre 2012 à Bugarach, où on lui a promis qu’il n’y aurait pas de juifs (« Si la fin du monde pouvait régler le problème définitivement »). Avant de répéter sa sortie sur Patrick Cohen, le journaliste de France-Inter rebaptisé «pleurnicheuse cinq étoiles» sur la Shoah, qui lui vaut une enquéte du parquet: «Lui, si le vent tourne, je ne suis pas sur qu’il ait le temps de faire sa valise. Quand je l’entends parler, Patrick Cohen, je me dis, tu vois, les chambers à gaz… Dommage.» Les juifs et la Shoah, encore et toujours, comme une obsession maladive. La salle est hilare. Fin du spectacle. En coulisses démarre la musique de « Chaud Cacao », la chanson d’Annie Cordy. Le public tape des mains en rythme et reprend en choeur le refrain revisité par Dieudonné: «Shoah-nanas, tu me tiens par la Shoah, je te tiens par l’ananas.» Au sortir du préche, en quittant la salle, on devise, on bavarde, entre initiés. «Pourquoi on ne pourrait pas parler des juifs? s’interroge Eric, Martiniquais installé dans le Val-d’Oise. Ils parlent pourtant beaucoup d’eux-mémes. Et its font beaucoup de tralala avec la Shoah. Ce n’est pas bien de se poser toujours en victimes.» «Dieudonné attaque ceux qui l’ont attaqué, renchérit un jeune couple bras dessus bras dessous. Il se défend contre ceux qui ont le pouvoir, il se bat contre le système. Il a raison. Ils vont tout faire pour l’arréter.» Un petit groupe s’est agglutiné devant les tee-shirts barrés d’une quenelle, les sweat-shirts avec le portrait de Dieudonné, les DVD de films, de spectacles, les stylos, tous exposés sur une table… Derrière, le vendeur beugle: «Achetez le DVD “l’Antisémite” En vente seulement dans cettee salle! 10 euros!»